Mounir GRAMI

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vendredi 30 novembre 2012

Les Tunisiens veulent de l'emploi!

Les explications fumeuses sur l’origine des tensions à Siliana commencent à fuser de toutes parts. Certains se lancent même dans des considérations nauséabondes aux relents régionalistes. Mais les indicateurs économiques et les chiffres prodigués par nos institutions publiques sont sans appel. Les Tunisiens ne sont pas égaux face à l’emploi, la pauvreté, et même l’éducation. Par Oualid Chine.
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Le bulletin de conjoncture publié par le ministère de l’Industrie en octobre dernier, indique que les investissements déclarés dans le gouvernorat de Siliana ont nettement reculé au cours des dix premiers mois 2012 en comparaison avec la même période en 2011. L’investissement est ainsi passé de 85,5 MD de janvier à octobre 2011, contre 47,4 MD en 2012, soit une baisse de 44,5%. Même cas de figure à Sidi Bouzid, où les investissements déclarés, ont diminué de 117.1 MD à 81.7 MD en 2012. Quant au rythme de la création d’emploi, il a connu une baisse de 66,3%, au cours de la même période à Siliana, passant de 1657 postes de travail créés en 2011, contre 558 en 2012.
Ce n’est donc pas tout à fait par hasard que ces deux régions connaissent une certaine tension sociale, qui s’est matérialisée par des manifestations importantes à Sidi Bouzid en juillet dernier, et à Siliana en ce mois de novembre.
Or le ministère de l’Industrie indique également que «les dix premiers mois 2012 ont été caractérisés par une baisse au niveau de l’investissement déclaré dans les zones de développement régional de 12.5% avec 1260.3MD contre 1439.8 MD lors des dix premiers mois 2011». Et Jendouba, connait ainsi une baisse de 38,8% en termes d’investissement, et une évolution négative de la création d’emplois qui recule de 67,1%. Il ne serait donc pas surprenant que la colère ne se fasse entendre aussi à Jendouba, puisque ce gouvernorat connaît une évolution comparable à celle de Siliana.
Les régions inégales face à la pauvreté
En septembre 2012, l’Institut National de la Statistique (INS) a publié les résultats d’une étude entreprise fin 2011, aboutissant à l’estimation du taux de pauvreté en Tunisie, et de son évolution au cours des dernières années. A première vue, la situation s’améliore, puisque ce taux est passé de 32,4% en 2000 à 23,3 % en 2005, pour atteindre les 15,5% en 2010. Sauf que l’INS affirme que «la baisse du taux de pauvreté observée entre 2000 et 2010 n’a pas bénéficié aux régions de l’ouest du pays (Nord, Centre et Sud)». Pis : selon le rapport, «l’écart entre les régions de l’intérieur par rapport au reste du pays s’est accentué de 2000 à 2010».
manif-travail-tunisie
De plus, même si les inégalités au niveau national ont, dans une certaine mesure, diminué au cours de cette décennie, celles-ci s’expliquent davantage par la baisse des inégalités entre les habitants d’une même régions plutôt qu’entre les différentes régions. Pour l’INS, «les inégalités inter-régionales ont enregistré une hausse significative passant de 16,4 en 2000 à 18,2 en 2010», attisant d’autant les ressentiments. Le rapport de l’institut conclut ainsi que «les sentiments d'aliénation des citoyens des gouvernorats défavorisés se sont accentués au cours de la période 2000-2010». Un sentiment d’autant plus profond que l’ascenseur social qu’est censé offrir l’Education Nationale n’offre pas la même chance à tout le monde.
Les Tunisiens inégaux à l’université
Dans une étude intitulée «Les inégalités régionales et sociales dans l’enseignement supérieur», l’économiste Mohamed Hédi Zaiem a mis en évidence une vérité trop longtemps occultée par nos politiques. Même au cours de leur scolarité, tous les enfants de Tunisie ne partent pas avec les mêmes chances de départ. M. Zaiem mettra en exergue la fracture qui sépare les côtes, des régions délaissées de l’intérieur, même au niveau de l’éducation.
Il apparait ainsi que les enfants de la Tunisie ne sont même pas égaux face à l’examen national du baccalauréat, puisque «les gouvernorats de l’intérieur affichent les moyennes les plus faibles et les douze gouvernorats du littoral occupent les positions les plus avancées».
Or l’économiste souligne que «les disparités au niveau des résultats du bac se retrouvent au niveau des résultats de l’orientation universitaire». Et il apparait que l’appartenance aux régions favorisées conditionne aussi l’accès aux filières dites «nobles» de l’enseignement supérieur. Les chiffres alignés par M. Zaiem indiquent que les portes des facultés de médecine, celles des grandes écoles d’ingénieurs ou de gestion , ne s’ouvrent pas de la même façon selon que l’on soit de Tunis, ou de Siliana.
M. Zaiem relèvera ainsi que «sur les 1441 bacheliers orientés en 2010 vers les filières médicales (médecine, pharmacie, médecine dentaire) 206 proviennent du gouvernorat de Tunis, 197 du gouvernorat de Sfax, 150 de l’Ariana, 119 de Sousse et 111 de Monastir. A l’autre bout, la part de Tataouine n’est que de 3, celle de Zaghouan de 4, celle de Siliana de 7, celle de Tozeur de 8 et celle de Kebili 9».
D’une logique implacable, l’universitaire précise que «l’appréciation de ces nombres doit se faire en fonction du nombre total de bacheliers dans chaque région». Les conclusions ? «Un bachelier du gouvernorat de Tunis a 6 fois plus de chance d’accéder aux filières médicales qu’un bachelier de Siliana et 12 fois plus de chances qu’un bachelier de Tataouine». Des études d’ingénieur ? N’y pensez pas. Pour M. Zaiem, « un bachelier de Sfax a 7 fois plus de chance d’accéder à une formation d’ingénieur que son homologue de Tataouine, et un bachelier de Tunis a 26 fois plus de chance d’accéder à une grande école de gestion que son homologue de Gabès».
En définitive, ce ne sont pas les mêmes perspectives qui s’ouvrent à tous les fils de la Tunisie, selon qu’ils soient nés à Sousse ou à Sidi Bouzid, à Sfax ou à Siliana. La pauvreté, l’accès à l’emploi, et aux filières les plus recherchées de l’université, restent largement conditionnés par les questions d’appartenances régionales. Et alors que le débat politique est dévoyé, le gouffre continue de se creuser, engendrant colère, frustration, et manifestations. Dans ces conditions, une étincelle suffit à enflammer de nouveau nos régions, alors que des questions secondaires ont pris le pas sur les objectifs de la Révolution.

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